Nous nous sommes tout dit


Nous nous sommes tout dit, récit de 143 pages dans sa version rééditée en juillet 2010 chez Autres Plumes Editions.

Le livre

4e de couverture :

Elle s’est éteinte à quatre-vingt-treize ans. Elle, c’est la mère de l’auteur, femme étonnante et émouvante, parfois drôle et espiègle qui traversa presque tout le XXe siècle pour aborder le XXIe avec sa sensibilité à fleur de peau, ses doutes, son amour pour un seul homme. Nous nous sommes tout dit raconte les quatre années d’échanges privilégiés entre cette femme attachante en fin de vie et sa fille. Les derniers propos échangés sont nourris d’interrogations sur la vie et la mort, l’amour et l’amitié, l’essentiel et l’accessoire. La très vieille dame apprivoise ainsi sa propre mort et fait à sa fille l’insigne cadeau de la préparer à sa disparition sans pour autant la programmer : quand elle arrive au bout du chemin, les derniers instants surviennent dans une plénitude sereine et partagée.

A travers cette expérience vécue, le lecteur découvrira qu’accompagner un parent en fin de vie, loin d’être un fardeau ou une souffrance, peut devenir un enrichissement aussi précieux pour l’un que pour l’autre, source d’un bonheur vrai.

Extraits



Extrait du chapitre

Dépendance et délires

C’est ainsi qu’un jour tu me fis sursauter en constatant : « Aujourd’hui, il n’y a personne derrière toi ! » La malice brillait dans tes yeux, heureusement. En fait avec finesse, tu me signifiais par là que tout allait bien dans ta tête, que la peur et les fantasmes en étaient absents. Car à plusieurs reprises l’une de tes phobies naquit de ce que tu étais convaincue qu’une dame inconnue se tenait debout derrière moi.
Ta chambre était toute petite. Tu étais assise dans ton fauteuil, les jambes allongées sur ton pouf rose et moi je te faisais face, installée sur une chaise qui touchait presque le mur. C’est dire qu’il n’y avait absolument pas place pour une personne debout dans mon dos. Mais tu la « voyais », elle te regardait et naturellement sa présence insolite et muette te dérangeait, t’effrayait. Ton regard se perdait au-dessus de ma tête et j’avais un mal fou à te faire entendre raison : tout en te parlant, je me levais, déplaçais mon siège, l’avançais, tournais autour, le reculais contre la paroi jusqu’à ce que tu conviennes enfin qu’il n’y avait personne. Hélas, même quand tu semblais avoir recouvré tes esprits, il n’était pas rare que, quelques minutes plus tard, tu plonges à nouveau dans ton délire.
Mais le plus extraordinaire reste la manière dont, soit dans les minutes qui suivaient soit plusieurs jours après, tu commentais ta vision. Tu l’étudiais à haute voix dans tous ses détails ! Tu cherchais à identifier ton « fantôme », tu te lançais dans de grandes explications : « Tu comprends, j’aime tellement rester seule avec toi pour discuter que j’ai peur que quelqu’un ne vienne nous déranger ! Ou alors c’est quelqu’un que j’ai connu autrefois et que j’ai oublié et qui vient me le reprocher ! » Et là, l’humour prenait la relève car le ton que tu adoptais ne laissait pas de doute, tu te moquais de toi-même !



Extrait du chapitre

Gourmandises

Je m’amuse en repensant au comptage auquel tu te livrais systématiquement : deux chocolats à la suite, jamais plus, trois bonbons, quatre ou cinq dragées, deux biscuits mais cinq pruneaux ! Ma ptite mère, tu avais un faible pour les sucreries mais tu savais rester raisonnable ! Et avec toi je l’étais forcément ; sans toi, je l’aurais été beaucoup moins, car je suis incapable de résister !
J’ai plaisir à penser que jusqu’au bout, tu as pu savourer ce que tu aimais. N’es-tu pas partie avec la saveur d’une mandarine parfumée dans la bouche ?
As-tu été privée au cours de ta vie ? Pendant la guerre certainement, dans ton enfance aussi peut-être. En tout cas je t’ai toujours vue prévoyante et économe. Avec l’âge, tu l’es devenue plus encore. Avais-tu peur de manquer ? Etait-ce un réflexe de vieille personne ?
Discrètement, j’ai souvent jeté de vieux morceaux de sucre, à demi effrités, qui traînaient au fond d’un de tes tiroirs depuis un temps difficile à déterminer, parfois soigneusement emballés dans des mouchoirs en papier. Sans que tu t’en aperçoives, quelques paquets de biscuits entamés ont également fini à la poubelle parce qu’ils avaient pris un aspect peu engageant ! Heureusement, tu les avais oubliés et la tâche d’élimination m’en était facilitée.
Ces découvertes me faisaient sourire. En revanche j’étais inquiète de trouver à côté des bonbons ou des dragées des provisions de somnifères.
D’abord cela signifiait que certains soirs tu n’avais pas pris le comprimé prescrit par ton médecin et je pouvais me douter que ces nuits-là tu n’avais pas ou peu ou mal dormi. Ensuite, quand cette « épargne » coïncida avec des périodes d’idées noires, je me mis à redouter une sorte de préméditation en prévision d’une unique prise définitive car il t’arriva d’exprimer l’envie d’« en finir au plus vite ».
Ces moments de dépression furent peu fréquents mais ils me glacèrent. Avec le recul, je me suis souvent dit que c’était probablement un geste analogue à celui qui te faisait mettre de côté gâteaux et bonbons ! Tu te privais pour être sûre d’en avoir !



Extrait du chapitre

L'amour

Ma ptite mère, repensant à tout cela, je me rends compte à quel point tu pouvais être différente d’un moment à l’autre. Tu me fais penser à la mer, changeante et pourtant toujours la même, tantôt transparente et bleutée avec un clapotis en grelots, tantôt bleu sombre écrétée d’écume grondante, tantôt grise et opaque avec des rouleaux massifs, tantôt noire et épaisse avec un déchaînement de mouvements et de grondements.
Pareillement, tu pouvais offrir tantôt tes yeux clairs à la malice pétillante avec ton sourire espiègle, tantôt tes prunelles grises, emplies de froideur comme tes mots abrupts, tantôt l’éclat presque métallique de ton regard devenu lointain assorti d’un silence obstiné, tantôt la détresse ou le défi de ton visage lisse aux yeux demi-clos, aux lèvres amincies avec ta houle verbale. Comme la mer, tu étais fascinante et belle, attirante et fuyante.



Extrait du chapitre

Enfances

Tu évoquas un jour ta souffrance de façon tout à fait fortuite. Grande lectrice, tu me réclamais sans cesse des livres et je t’avais apporté Le chasseur zéro. L’auteur de ce court roman fait parler à la première personne une orpheline que l’on écoute raconter de l’enfance à l’âge adulte sa douleur de n’avoir jamais connu son père mort à la guerre. Contrairement à toi elle a vu deux photos de lui. Mais comme toi, elle se sent injustement privée d’une histoire à laquelle elle a droit car on refuse de répondre à ses interrogations et on l’accuse de faire ainsi souffrir sa mère dépressive. Elle est comme empêchée de grandir et finalement de vivre malgré des tentatives désespérées pour échapper au cauchemar.
Quand tu m’as rendu le livre, tu avais les larmes aux yeux : « Cette petite fille sans père, cette femme, c’est moi ; je comprends tout ce qu’elle éprouve. » Je fus d’abord surprise que tu te reconnaisses dans ce personnage qui, à mon avis, était assez éloigné de toi, malgré la même absence de père.
Puis je compris que dans les deux cas dominaient l’obsession d’un absent mythique, le manque déchirant d’une vraie tendresse maternelle, l’emprisonnement dans une souffrance morale et physique, d’insupportables bourdonnements d’oreille pour le personnage de roman, d’angoissantes difficultés respiratoires pour toi. D’une certaine façon c’était comme si tu en étais restée aux premières pages, celles où l’on apprend que l’héroïne se fait gronder quand elle cherche à savoir, condamnée au silence, à l’étouffement et au non-dit.



Extrait du chapitre

Bretagne

« Et toi, Maman, aurais-tu aimé retourner vivre en Bretagne ? » Tu ne savais que répondre, tu hésitas. C’était ta terre natale, une terre surtout rêvée car tu avais eu très peu l’occasion d’y retourner. Tu m’as dit un jour qu’à ton avis nous avions tous dans un coin de notre tête un pays qui n’existe pas, un pays idyllique, fait de paysages vus ailleurs et à des moments différents de notre vie. Je crois en effet que tu t’es inventé une Bretagne toute en douceur qui te convenait. Tu l’as peuplée de gens têtus, conformément au cliché habituel mais aussi parce que ce trait de caractère, tu le revendiquais fièrement pour toi-même !
Cette idée d’un pays mythique, enfoui secrètement dans la cervelle de chacun d’entre nous m’a plu d’emblée. Je crois bien qu’en parcourant la Bretagne, c’est ton pays imaginaire que j’ai cherché et, parfois, au détour d’un chemin, sous une frondaison ou près d’une petite maison au faîtage en lignolet, je l’ai entrevu.



Extrait du chapitre

Les citrons

« Tu crois qu’il y a quelque chose après la mort ? » Cette question te tracassait mais tu cherchais à l’affronter avec distance et réflexion. Difficile de te répondre. Je m’efforçai d’être sincère. Jusque-là, je me déclarais agnostique, celle qui ne sait pas. Mais depuis la mort de mon père, j’avais très envie de croire qu’un jour tu le rejoindrais, qu’il existait toujours, autrement certes mais vivant en somme !
D’ailleurs, plus d’une fois j’avais été troublée et je l’étais encore quand tu me posas la question. J’avais eu à plusieurs reprises la sensation d’une présence. En descendant le perron de la maison de retraite où tu résidais, un jour que j’étais particulièrement triste parce que j’avais l’impression de ne pas avoir su trouver les mots répondant à ton attente, de ne pas avoir réussi à te donner une forme de paix, je me suis retournée comme malgré moi et s’il avait été là en chair et en os je n’en aurais pas été autrement surprise.
D’autres fois, conduisant sa voiture, j’ai reconnu son odeur, ce qui, en soi, n’avait rien d’étonnant car au fil des années elle avait bien pu imprégner les coussins des sièges mais ce n’est qu’après sa mort que je la remarquai et pourtant je l’avais souvent conduite de son vivant. En outre, mue par une force irrésistible je tournai la tête vers la place du passager comme s’il y avait eu quelqu’un. Ces sensations se renouvelèrent souvent et, chaque fois, je me suis sentie mieux, quasi apaisée par cette subtile présence. Je t’en ai fait la confidence que tu reçus sans aucun commentaire mais avec dans le regard une fugitive lueur d’espoir.
Dans le fond, tu étais persuadée qu’il « vivait » encore ailleurs et comme tu avais toujours été jalouse, tu avais peur : et s’il en avait trouvé une autre ? si, à ton arrivée près de lui, il ne voulait plus de toi ? Tes doutes m’attendrissaient et naturellement je m’employais à te convaincre qu’à coup sûr il t’attendait et qu’alors vous seriez réunis à jamais.
Avais-tu su l’aimer ? Le lui avais-tu dit suffisamment ? Ne l’avais-tu pas injustement tourmenté ? À cette dernière question, j’aurais pu répondre « oui » car tu n’avais pas toujours été facile à vivre ! Mais je me contentais de te dire que, la perfection n’étant pas de ce monde, lui non plus, pourtant si plein de qualités, n’avait pas été parfait, ce dont tu tombais instantanément d’accord !

L'éditeur

Autres Plumes Editions est une maison d'édition associative rattachée à Autres Plumes, association d'auteurs du Roussillon.

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- à la librairie Torcatis de Perpignan, au prix de 15 Euros ;

- directement auprès de l'auteur, en lui adressant un BON DE COMMANDE (CLIQUEZ ICI) ; si vous souhaitez une dédicace, merci de le préciser à la main.